Abstract
L’article examine certains parallèles entre les histoires d’aventures de Karl May (1842-1912) et les narrations philosophiques de Martin Heidegger (1889-1976). Dans quelques-uns de leurs points nodaux, les textes de May et de Heidegger fonctionnent comme une sorte de réduit théologique : ils accordent secrètement l’hospitalité au contrat moral du christianisme sous la forme d’une narration apparemment séculaire. Le contrat moral est en principe chez May le même que chez Heidegger : qui agit bien – c’est-à-dire en fonction d’une humanité noble (Edelmenschlichkeit chez May) ou de l’authenticité (Eigentlichkeit chez Heidegger) – est récompensé, qui agit mal est puni. May comme Heidegger utilise la clé comme image de cette récompense. Heidegger opère avec les concepts d’ouverture (Erschlossenheit) et de résolution (Entschlossenheit) : pour l’existence authentique, la situation est non seulement d’une manière ou d’une autre ouverte (erschlossen), mais elle est véritablement dévoilée ou résolue (entschlossen). L’être lui-même est révélé, le voile phénoménal se lève et le monde apparaît comme il est. À propos de May, l’autonomie d’un noble homme (Edelmensch) se constitue dans la pénétration intellectuelle de la situation : l’humanité noble est symbolisée par une clé qui ouvre l’immédiat agir-dans-le-monde. Il s’agit de l’espoir en l’autonomie d’un sujet authentique qui toutefois, aussi bien chez May que chez Heidegger, se transforme en une affirmation de stricte obéissance. Le héros qui veut devenir maître de lui-même devient finalement encore plus esclave des autres.