Abstract
L’article met en lumière les rapports entre deux écrivains de langue allemande que rien, au premier abord, ne réunit : l’auteur de romans d’aventures Karl May (1842–1912) et Arno Schmidt (1914–1979), réputé pour son écriture avant-gardiste très peu portée sur l’action. Pourtant, Schmidt a consacré plus d’un essai à May et ses romans sont truffés de références à l’ermite de Radebeul. Notre propos est dès lors de montrer que la lecture « sexualisée » de May que Schmidt propose dans son livre Sitara et le chemin qui y mène (1963) tente de mettre à nu les ressorts profonds du succès durable de May et que cette lecture humoristique à rebrousse-poil jette en même temps les bases d’une nouvelle poétique de Schmidt. En nous penchant ensuite sur deux récits de Schmidt antérieurs à la découverte de la clé de lecture freudienne – Scènes de la vie d’un faune (1953) et La République des savants (1957) –, nous interprétons les références (détournées) à May – au premier chef les métaphores hippiques, l’animal emblématique de l’univers de May – en des termes d’économie narrative : en émaillant les microstructures apparemment si disparates et décousues des récits schmidtiens, ces références apparaissent comme les indices d’une narrativité cachée. Véritables « parties honteuses » de l’écriture schmidtienne, les références à May réclament ainsi un mode de lecture très similaire à celui que l’essayiste Schmidt appliquera plus tard aux textes de Karl May – à ceci près qu’il y va de la jouissance du texte, et non pas de l’exaction de pulsions refoulées.