Abstract
Ce colloque a réuni biblistes, assyriologues, et spécialistes de l’antiquité pour traiter de la question du tabou et des transgressions, à partir de leurs disciplines et à travers leurs corpus de référence : Bible, Mésopotamie, Grèce antique, Egypte ancienne, période mamelouke... Les contributions font d’une part ressortir l’absence d’un terme qui équivaudrait au mot « tabou », initialement emprunté par les anthropologues du siècle dernier aux langues polynésiennes. Il semble cependant que plusieurs caractéristiques rattachées à ce concept soient récurrentes dans les sociétés abordées.
Ainsi, plusieurs communications ont relevé l’importance des interdits alimentaires comme marqueurs identitaires. Ces « manières de table », tel que l’interdit du sang dans l’ancien Israël, permettent en effet au groupe d’établir ses propres limites « de l’intérieur », et de définir ses modes d’appartenance et de reconnaissance. Il arrive également que les régimes alimentaires servent à décrire le groupe de l’extérieur. Cela peut s’avérer injustifié et caricatural, comme dans le cas du régime sans porc attribué aux égyptiens par Hérodote, ou au contraire refléter une réalité socio-historique à l’image des Amorites, peuple nomade mangeurs de truffes du désert et de viande crue. La fonction identitaire des régimes alimentaires est également mise en valeur lors des rencontres interethniques où les groupes minoritaires, comme les juifs à la période hellénistique, sont obligés d’adapter leur pratique pour éviter leur exclusion des cercles d’influence de la cité.
Les relations sexuelles sont un domaine où les lois ont peu d’emprise et où les tabous permettent de définir les limites. Il a ainsi été question de la prostitution dans l’ancien Israël et de l’utilisation métaphorique de la prostitution dans le discours prophétique, du problème des mariages interethniques qui brouillent les frontières de la communauté, ou encore de la possibilité dans des situations exceptionnelles de braver des interdits fondamentaux comme celui de l’inceste afin de préserver d’autres valeurs du groupe.
On a également abordé des « tabous de contact » qui caractérisent des lieux exclusifs, comme un sanctuaire ou la maison d’une grande prêtresse, et dont l’entrée est réservée aux seuls initiés. Certains objets, tels que les butins de guerre, ou certaines personnes, tels que les premiers-nés, se voient attribuer un caractère sacré qui implique leur mise à l’écart du groupe. Inversément, leur « mise en contact » est conditionnée par l’observation d’un rituel ou de postures qui assurent la protection du reste du groupe.
La compréhension des interdits et des différentes formes de régulation nécessite la prise en compte du contexte économique et social dans lequel ils se développent ainsi que de l’imaginaire collectif auquel ils se réfèrent. Les Assyriens opèrent ainsi une distinction fondamentale entre le volontaire et l’involontaire. La prise en compte de fautes involontaires permet d’expliquer toute forme de malheur dont l’origine remonte au comportement de celui qui en est atteint. Ce sens de la responsabilité engendre de nouveaux interdits fixés par la science hémérologique, qui détermine les jours fastes et néfastes dont la connaissance permet de limiter les fautes inconscientes. Les textes fondateurs du judaïsme de l’époque perse expriment quant à eux un idéal où le droit serait placé sous l’autorité du temple. La loi du talion et les peines de mutilation qu’elle implique relève alors plus d’une construction idéologique que de la réalité historique.