Abstract
Depuis quelques décennies, la question de l’ancrage social de l’électorat socialiste est devenue un chiffon rouge tant dans l’espace public qu’au sein des social-démocraties européennes, revenant souvent au lieu commun de partis ayant « abandonné » leur électorat ouvrier traditionnel à l’extrême droite. La question de la représentativité sociale des partis sociaux-démocrates n’est pourtant pas nouvelle et a depuis longtemps été pensée dans un cadre transnational, les acteurs partisans comparant les situations nationales et/ou s’inspirant de pratiques et d’idées des « partis frères ». L’impression même d’homogénéité passée des électorats sociaux-démocrates est à questionner au regard des mobilisations souvent interclassistes de ces partis, des transformations fines des mondes ouvriers et populaires depuis le XIXe siècle, et des migrations qui ont constamment interrogé le cadre d’action national des social-démocraties. Cet article prend le cas du Parti socialiste suisse pour analyser les schèmes d’appréhension de l’électorat et les stratégies de mobilisation développés par les cadres et activistes partisans. Si l’après-guerre marque l’intégration du parti dans les accords de partage du pouvoir sur la base de quotes-parts électorales supposément stables, le parti s’est, en coulisses, constamment interrogé sur son ancrage social et son rapport aux mondes ouvriers. En pleine guerre froide, le parti a d’abord cherché à écarter le stigmate du « rouge » et à s’adresser aux « classes moyennes ». L’arrivée des femmes sur le marché électoral en 1971, mais aussi les tensions autour de la forte migration de travail dans les années 1960-1970 conduisent les sociaux-démocrates à repenser leur focalisation sur un électeur-type ouvrier, masculin et suisse.